atelier Hart Berteloot

Maison à Lambersart

D’emblée, cette maison pourrait être qualifiée de brutaliste. Et c’est dans la chambre à coucher parentale à l’étage que l’épithète s’impose avec le plus de force. Le mur auquel s’adosse le lit sans tête présente un appareillage de parpaings de ciment laissés tels quels. Ce mur repose sur une poutre retroussée qui ceint la maison et apparaît brut de décoffrage. Quant au plafond, il n’y en a pas vraiment puisque ce sont des éléments de béton qui forment la dalle de toiture et qui, là encore, nous sont livrés dans leur nudité. Ainsi, la domesticité et l’intimité du couple ont pour écrin un environnement matériel pour le moins inattendu. Le chêne clair de la large baie qui s’ouvre côté nord et du grand placard en vis-à-vis, les rideaux en lin et la moquette offrent de fait un contrepoint à la minéralité des surfaces cimentées, mais elles-mêmes n’ont rien de rugueuses et invitent singulièrement au toucher. C’est la mise en œuvre du matériau qui à l’évidence le transmute ici, lui confère dignité et le rend sympathique. Ailleurs dans la mai- son, dans les deux salles de bains, dans les autres chambres où s’égayent les enfants et au rez-de-chaussée, les parpaings de ciment ont ainsi été assemblés avec soin par les maçons qui ont suivi le calepinage précis des architectes. Le jointement plus clair et parfaitement régulier rythme et anime les parois intérieures que les propriétaires n’ont manifestement aucune intention de recouvrir, sinon de quelques objets décoratifs. Murs, sols et plafond sont donc sans finitions, mais particulièrement bien finis, au sens où ils sont exécutés comme premier et dernier œuvre.

Le principe du non revêtement
On touche ici à un principe qui guide Heleen Hart et Mathieu Berteloot dans la plupart de leurs projets. En bannissant les revêtements, quels qu’ils soient, ils exposent les constituants premiers des édifices, structures et remplissages. Se faisant, ils demandent et obtiennent des entreprises de construction une qualité de mise en œuvre supérieure qui, par un cercle vertueux, rend acceptables, voire désirables, les matériaux dans leur nudité. Et si, le cas échéant, un défaut d’exécution survient – ce qui n’a pas été le cas ici –, les deux architectes ne s’échinent pas à le dissimuler, mais l’acceptent comme trace du labeur des ouvriers et le détournent avec inventivité. Il s’agit d’un positionnement courageux dans un contexte de production de l’architecture qui depuis plusieurs décennies favorise le recouvrement par des composants industriels des travaux de gros œuvre. Ceux-ci sont en conséquence souvent grossièrement sinon mal exécutés. Ce positionnement obéit à une éthique et une esthétique architecturale qui ont une histoire que l’on peut brièvement rappeler. C’est ainsi que la maison de Lambersart est brutaliste au sens où l’entendaient précisément Alison et Peter Smithson. Les deux architectes anglais ont utilisé cette notion pour la première fois à propos d’une petite maison dont ils ont projeté la construction en 1953 à Londres. Ils avaient alors eux aussi choisi pour matériaux le béton, la brique et le bois, et ils affirmaient : « Notre intention dans ce bâtiment est d’exposer entièrement la structure, sans finition intérieure lorsque cela est possible. L’entreprise doit viser un haut niveau de qualité dans la construction de base comme elle le ferait pour un simple entrepôt. » Les Smithson s’efforçaient dans cet esprit d’objectiver la « réalité », de « faire face à la société de la production de masse », et de « tirer une poésie brute à partir des forces confuses et puissantes à l’œuvre ». Ces mots qui pourraient être ceux d’Heleen Hart et de Mathieu Berteloot éclairent aujourd’hui leur démarche qui, pour être cultivée, n’est ni idéaliste ni élitiste.

Une maison peu ordinaire
Dans ce quartier résidentiel de Lambersart, où l’on trouve surtout des demeures bourgeoises entourées de vastes jardins, la maison dont il est ici question est modeste par le coût de sa construction et par son emprise au sol. Légèrement en retrait de la rue, elle peut se décrire comme une boîte allongée, entièrement vitrée sur trois de ses élévations au rez-de-chaussée, et largement opaque à l’étage. Le volume suspendu repose d’un côté sur un long mur de refend quasiment aveugle et de l’autre sur trois poteaux qui soutiennent la poutre retroussée visible dans les chambres. Sa matérialité est celle des briques que les architectes ont choisies chez deWulf à Allonne pour les imperfections et les variations de teinte qui leur donnent un aspect proche de celui des briques de réemploi. Dehors comme dedans, la maison s’inscrit par-là dans l’esthétique du « as found » chère aux Smithson, celle des matériaux sans fard qui témoignent de leur processus de production. La maison y gagne une certaine banalité qui lui sied bien dans un quartier où les extravagances architecturales ne sont pas rares, mais elle s’avère in fine peu ordinaire tant elle propose à ses propriétaires des expériences visuelles, spatiales et tactiles riches et diverses.
Valery Didelon, D’A n°286, décembre 2020.

 

MAÎTRE D’OUVRAGE :
Privé

MAÎTRE D’OEUVRE :
HBAAT, mandataire

MAÎTRISE D’OEUVRE ASSOCIÉE :
JM BECQUART / économiste et BET TCE

PROGRAMME :
Réalisation d’une maison familiale composée de 4 chambres, séjour cuisine, deux salles de bain, un garage et un sous-sol

CRITÈRES PARTICULIERS :
Bâtiment BBC, soit Cep, réf – 60%
Architecture avec un double mur, composé d’une brique locale de parement, et une isolation complète par l’extérieur
Menuiserie bois avec fabrication artisanale en chêne

SURFACE :
224 m2 SU plus un garage de 15M2

BUDGET :
350 000 Euros/HT (2018)

RÉALISATION :
Livraison septembre 2019

PHOTOGRAPHIES :
Chantier / Florian Buquet
Livraison / PM Rouxel / T Harbonnier / F Buquet

Solar-House, Alison et Peter-Smithson, 1958-1962.

Maison à Lambersart

Photographies : Thomas Harbonnier.
Photographies : PM Rouxel.
Photographies : Florian Buquet.