atelier Hart Berteloot

Troquet à Quesnoy-sur-Deûle

Little big architecture

Un minuscule troquet au bord du canal de la Deûle, d’à peine 80 m2, construit pour 250 000 euros… Mais un concentré de sa- voir-faire et d’intelligence architecturale livré par HBAAT dans une petite commune au nord de Lille, où deux précédentes réalisations de l’agence ont été remarquées et appréciées par une maire entreprenante et misant sur l’architecture. Ce projet fait partie des lauréats du Prix d’architectures 10+1 2023.
Est-ce un troquet, une buvette, un estaminet, une guinguette ? Ces termes relient ce petit débit de boissons et de restauration rapide à des temps qui ne sont plus tout à fait le nôtre. Mais ils disent la volonté de l’équipe municipale de Quesnoy-sur-Deûle de doter d’un vrai lieu de convivialité les berges de la rivière, depuis longtemps canalisée pour le trafic fluvial, mais dont les promeneurs et cyclistes du dimanche arpentent volontiers le cours. Depuis son ouverture à l’été 2022, on peut en effet y partager un café ou une bière brassée localement, un en-cas salé ou une pâtisserie, après une balade ou un entraînement de canoé, ou en gardant un œil sur les
enfants fraîchement sortis de l’école toute proche. Dans cette ville de 7 000 habitants de la couronne septentrionale de la métropole lilloise où subsiste une faible activité industrielle, « Le Troquet quesnoysien » a vite trouvé sa place, en dépit de sa taille modeste, répondant à une demande sociale aussi manifeste que peu audible.

Variations sur un cube
L’opération naît d’une conversation informelle entre les architectes d’HBAAT et Rose-Marie Hallynck, la maire depuis 2014 de cette petite ville où ils ont déjà réalisé un équipement éducatif (école de danse et centre de loisirs, 2015) et un immeuble de 45 logements (2018). Faut-il, pour cette nouvelle commande, transformer le petit préfabriqué présent sur le site ? Rompus à l’économie de moyens, Helen Hart et Mathieu Berteloot proposent, pour le même prix, un bâtiment neuf qui s’appuiera sur les fondations existantes. Une dalle de béton d’environ 9 mètres sur 9 mètres, située légèrement à l’écart et en surplomb du canal, constitue ainsi la donnée première du projet, à la fois purement fortuite et géométriquement parfaite.
La composition décline ensuite ce carré de base, avec gourmandise. Rabattu à la verticale, il donne une façade sud très frontale qui signale l’édicule depuis les chemins de halage et la berge opposée. Le cube formé virtuellement par ce dièdre est ensuite tranché diagonalement, non seulement pour réduire le volume d’air à chauffer et pour incliner la toiture mais aussi pour dégager une vue vers l’église, située plus haut. En plan, le cube, soigneusement composé selon une grille à 36 cases calée sur les ossatures des baies, est également découpé selon une ligne diagonale qui fait la démarcation entre l’espace servi et l’espace servant.
Ces deux grandes diagonales évitent cependant les arêtes du cube : en élévation, pour laisser un registre bas habitable, de 2,50 mètres de haut, vitré sur les deux côtés de la salle commune; en plan pour laisser libres les angles, où sont situés les accès, et pour établir, dans la partition, une hiérarchie en faveur de la partie accueillant le public. Dynamisant le cube, ce motif triangulaire se décline à toutes les échelles, de la découpe des paillassons à celle de la porte de service qui donne l’impression que le bâtiment se tient en équilibre sur le mur arrière. La petite annexe en acier autopatinable, qui abrite les bacs de déchets, prolonge à l’extérieur ce jeu d’angulations à 45 degrés.
Dans un souci de légèreté, le bâtiment est construit en ossature bois. Un bardage en tuiles de châtaigner assure le clos et le couvert, présentant l’avantage d’une homogénéité de matériau sur toutes les faces de cet objet très sculpté. À l’intérieur, la matérialité, qui trahit la faiblesse du budget, est transfigurée par la composition, le calepinage, les choix de couleur et de finition : carrelages mats 10 x 10 cm gris bleuté au sol et brun-rouge au mur de la cuisine, panneaux acoustiques en fibre de bois au plafond, panneaux de contre-plaqué de bouleau vernis sur les façades intérieures du cube, panneaux d’aggloméré pour la paroi diagonale. Suggérés par les architectes pour pallier un défaut de fourniture de l’entre- prise, ces panneaux généralement invisibles, employés en fond d’ossature, sont ici apparents et assument la teinte verte de leur traitement hydrofuge appliqué en usine, que vient rehausser un verni aux reflets luisants.

D’ici et d’ailleurs 
Comme souvent dans les réalisations d’HBAAT, la nudité de matériaux bruts et pauvres est compensée par la cha- leureuse fluidité d’éléments textiles. Ici, les architectes ont fait appel à Alice Hallynck, une paysagiste de la région qui revisite l’art populaire des brise-bises en macramé. Financés par l’appel à projets « Mondes nouveaux », les deux grands rideaux qu’elle a conçus reproduisent par broderie mécanique une série de dessins représentant douze éléments structurants du paysage vernaculaire quesnoysien : des monuments (monument aux morts), des équipements (la déchetterie, la salle des fêtes ou le centre éducatif d’HBAAT), des infrastructures (le pont du chemin de fer, les silos à grain ou l’écluse) ou même le supermarché à l’entrée de la ville. Conférant un caractère domestique à ce nouveau lieu public, ces brise-bises brouillent la transparence des baies vitrées, filtrent le paysage tout en l’enrichissant de ces motifs faussement naïfs.
Bien qu’il retisse habilement les fils distendus de cette petite commune, le bâtiment.
est cependant étranger à tout esprit de clocher. Le choix des tavaillons en façade ne relève d’aucune nostalgie envers une quel- conque tradition artisanale locale. Ceux-ci ont été fabriqués par une lointaine entreprise de l’Allier et posés par une entreprise du Nord inexpérimentée en la matière mais parfaitement accompagnée par les architectes.
Le Troquet quesnoysien est une architec- ture savante qui puise loin ses sources théoriques et esthétiques. On devinera bien sûr le pavillon des fleurs de Sigurd Lewerentz dans la silhouette de cube tronqué du Troquet et dans le motif arborescent que dessinent les gaines électriques sur la façade intérieure – motif déjà pro- posé par HBAAT lors du chantier du cinéma de Marcq-en-Barœul (2021) quand l’électricien avait oublié de faire couler les fourreaux dans le béton. En observant la justesse de la mise en œuvre des tavaillons de châtaigner dont les rangs s’ajustent impeccablement sur les quatre façades notamment celui qui règne avec le haut du portique vitré, on pensera aussi à la manière dont l’architecte suédois avait transfiguré le mode constructif de la stuga en ossature bois dans son hangar à bateaux de Stockholm. À la fois d’ailleurs et d’ici, le troquet d’HBAAT convoque la grande architecture sur ces bords de canal, tout en combinant son étrangeté formelle et sa rigueur géométrique avec une sorte de familiarité débonnaire et inclusive qui a assuré sa rapide adoption par les habitants et les promeneurs.

Pierre Chabard, D’A n°312, novembre 2023.

MAÎTRE D’OUVRAGE :
Mairie de Quesnoy sur Deûle

MAÎTRE D’ŒUVRE :
HBAAT, mandataire

MAÎTRISE D’ŒUVRE ASSOCIÉE :
Alice Hallynck, pour le brise-brise (rideau intérieur)

PROGRAMME :
Troquet municipal

CRITÈRES PARTICULIERS :
Construction en bois français, ossature bois en pin des Vosges, et vêture extérieure en tuiles de chataignier
Isolation en laine de bois.
Réemploi pour les sols et les luminaires.

SURFACE :
80 m2 (SU)

BUDGET :
250 000 Euros/HT

RÉALISATION :
Livraison 2020

DISTINCTIONS :
Grand Prix d’architecture des hauts de France 2023
Prix AMO 2023
Prix d’Architectures 2023

PHOTOGRAPHIES :
Chantier / F Buquet
Livraison / Luc Boegly