L’architecture des situations
Face à des enjeux environnementaux de plus en plus pressants, l’extension indéfinie des métropoles plutôt que leur intensification sur elles-mêmes, la surconsommation des ressources et la destruction-reconstruction perpétuelle des bâtiments sont autant de tendances lourdes qu’il est urgent de renverser. C’est pourquoi, l’atelier Hart Berteloot inscrit son action non pas sur la page blanche d’un avenir illusoire mais dans les situations construites du temps présent. Conscient que la compréhension fine de leur complexité territoriale, sociale et matérielle est cruciale pour les transformer et les pérenniser, il est convaincu que les territoires habités ont moins besoin d’une nouvelle utopie radicale que d’une multiplicité de gestes de soin et de réparation. Pour cela, il juge impératif de privilégier systématiquement la transformation de l’existant à sa démolition. Réhabilitation, restauration, agrandissement, surélévation, changement d’affectation, réemploi, toutes ces formes d’action sont ainsi devenues majoritaires dans la pratique de l’atelier Hart Berteloot qui a développé une expertise reconnue en la matière. Bâtiments ordinaires ou monumentaux, anciens ou récents, signés par des architectes importants ou sans pédigrée, inscrits au patrimoine ou riches de leur seule énergie grise, la même attention est portée à toutes ces constructions héritées ; leur histoire est finement retracée, leur potentialité en termes d’usage, de structure et d’écriture architecturale est soigneusement évaluée. En plus de l’examen de leur conditions structurelle et matérielle, leur trajectoire dans le temps est minutieusement documentée, en s’associant avec des historiens de l’architecture, qui enrichissent le projet de leur savoir et de leurs méthodes. Rassembler les archives d’un édifice, restituer les circonstances de sa conception et de sa construction, établir la chronologie de ses usages et de ses transformations successives permet de prendre en charge la trame temporelle dont sa matière est tissée, de connaître et de reconnaître les intentions architecturales dont il est issu, d’en assumer la singularité dans le projet de transformation. Faire architecture avec le monde tel qu’il est pour le rendre habitable durablement implique cette pratique située et attentive.
Le potentiel des structures
Une construction ne peut être véritablement durable que si elle dure. C’est pourquoi l’atelier Hart Berteloot fonde moins son architecture sur la sophistication périssable d’une enveloppe que sur la solidité et l’évidence d’un fait constructif. Qu’elle soit en bois, en acier, en béton, une structure installe, par son rythme, sa portée et sa morphologie, un ordre spatial autonome qui détermine l’architecture et la manière dont on l’occupe et on l’habite. Dans une transformation, il s’agit de restituer cet acte structurel premier, souvent occulté par des strates d’ajouts ultérieurs, et de libérer ses potentialités. Dans un bâtiment neuf, il faut lui donner l’importance hiérarchique qu’il a souvent perdu vis-à-vis d’une industrie hégémonique du second-œuvre car c’est lui qui confère au bâtiment sa capacité fonctionnelle et formelle mais surtout sa capacité à durer, à tenir dans le temps long de son usage et de ses transformations ultérieures.
Revenir à cette essence structurelle du bâtiment répond également à l’impératif de sobriété et de frugalité matérielle que dicte l’épuisement prochain des ressources terrestres. Construire avec peu de moyen et peu de matière, réduire voire supprimer les ouvrages de placage, de parement ou de peinture, se défaire du superflu, du simulacre et du spectaculaire relève de l’éthique mais ouvre également la voie d’une esthétique qui mêle le simple, le brut et l’essentiel. Qu’ils soient naturels (bois, terre, etc.) ou industriels (parpaing, verre, etc.), les matériaux sont mis en œuvre dans leur nudité, sans compromis, suivant un calepinage rigoureux et précis qui les transfigure. Pour tenir ce niveau d’exigence, l’atelier Hart Berteloot envisage le chantier comme un véritable terrain d’agir de l’architecte, comme un prolongement du projet, comme un temps où celui-ci se concrétise en interaction avec les artisans bâtisseurs, où il se précise en s’ajustant à leurs modes opératoires et à leur culture constructive.
Le partage du projet
L’atelier Hart Berteloot mène tout projet architectural et urbain dans un dialogue nourri avec tous ses acteurs. Cette pratique transversale et interactive implique de mobiliser des outils de conception et de médiation adéquats pour mettre en commun chaque étape du processus. En dépit de leur relative abstraction, le plan et la coupe restent les outils stratégiques pour régler le rythme d’une trame constructive, clarifier la distribution d’un programme, composer les éléments hétérogènes d’un projet, ancrer un édifice à un sol toujours différent. Soucieux de déjouer les faux-semblants des rendus photo-réalistes, l’atelier Hart Berteloot explore d’autres formes de visualisations, comme le collage, plus suggestif, plus à même de transmettre une idée d’architecture, plus ouvert à son devenir et à ses potentialités. Mais c’est la maquette qui constitue depuis toujours son instrument privilégié. Fabriquée à la main, sur place, en plusieurs versions et à des échelles successives, manipulée et transformée à l’envi, elle est l’outil par excellence d’une conception réellement collaborative de l’architecture au sein de l’atelier. Par son efficacité analogique et tridimensionnelle, la maquette intervient aussi comme médium évident dans les échanges avec les commanditaires d’une opération et dans les discussions avec les gens de métier qui la réalisent, faisant circuler largement les idées et l’information dans un monde trop souvent segmenté.
Cette mise en discussion élargie de l’architecture est cruciale pour l’ajuster aux enjeux et aux besoins contemporains. En matière de logements collectifs par exemple, elle permet de prendre en compte les attentes nouvelles que les confinements sanitaires ont révélés en termes de surfaces, de rapport à l’extérieur, d’organisation des pièces, d’articulation entre habitat et travail. Engagé de longue date dans la co-conception de logements participatifs, l’atelier Hart Berteloot met ainsi l’architecture aux prises avec ces mutations sociétales. En matière d’écologie, le dialogue est ouvert avec la maîtrise d’ouvrage en amont du projet, sur certains points du cahier des charges. Par exemple, l’atelier Hart Berteloot prend régulièrement le risque de mettre en question le choix de la démolition et de proposer une alternative transformative. Intervenir ainsi à chaque étape du processus, c’est s’engager au quotidien pour que l’architecture ne soit pas un simple caprice formel, mais une œuvre commune dans la continuité des situations concrètes existantes, pour qu’elle devienne un levier puissant et crédible pour construire un monde véritablement durable.
Pierre Chabard